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Dans un environnement où l’incertitude, la complexité et la rapidité des changements deviennent la norme, la qualité du jugement managérial constitue un déterminant majeur de la performance organisationnelle. Pourtant, derrière chaque choix qu’il soit stratégique, opérationnel ou humain se niche un ensemble de mécanismes psychologiques, cognitifs, sociaux et institutionnels qui déterminent la manière dont nous jugeons et décidons. La plupart des dirigeants prennent encore leurs décisions en s’appuyant sur des intuitions imparfaites, des heuristiques parfois utiles mais souvent biaisées, et une vision fragmentée de l’information disponible. Comprendre les enjeux de rationalité n’est donc pas un simple exercice théorique mais une compétence stratégique pour tout décideur, manager, consultant, formateur ou responsable public. C’est également un levier essentiel pour renforcer la qualité des politiques publiques, la gouvernance d’entreprise, les performances organisationnelles et la confiance des équipes.
Par cet article, j’aimerai bien expliquer les concepts et outils pratiques pour améliorer le jugement dans des contextes professionnels réels.
Décider est au cœur du métier de manager. Qu’il s’agisse de recruter un collaborateur, d’ajuster une stratégie commerciale, de lancer un produit, d’investir dans un projet ou de gérer une crise, chaque décision engage des ressources, des risques, des responsabilités et des conséquences parfois difficiles à anticiper. Or, les organisations contemporaines évoluent dans un environnement caractérisé par quatre dynamiques majeures : accélération du temps, explosion informationnelle, incertitude structurelle, et complexité systémique. Les dirigeants marocains comme canadiens font face à une pression croissante pour décider vite, tout en justifiant rationnellement leurs choix. Pourtant, le jugement et le processus décisionnel sont au cœur de toute action organisationnelle : embaucher, investir, fixer une stratégie, allouer un budget. Pourtant, la notion de « rationalité » n’est pas univoque. D’un côté, la rationalité normative propose des modèles idéaux (maximiser l’utilité, respecter des règles logiques), de l’autre, la rationalité descriptive montre comment les humains décident réellement, souvent de façon limitée et biaisée. Entre ces pôles se trouve la rationalité appliquée des outils et des processus qui augmentent la qualité des décisions sans exiger une connaissance parfaite.
Les recherches récentes montrent que la plupart des décisions organisationnelles reposent encore largement sur l’intuition, l’expérience personnelle ou des « routines » incorporées dans la culture professionnelle. Si ces formes de jugement peuvent être efficaces dans des environnements stables, elles deviennent beaucoup moins fiables dès lors que l’incertitude augmente ou que les conséquences deviennent difficilement prévisibles.
La littérature en sociologie des organisations (James G. March), en management stratégique (Henry Mintzberg) et en économie comportementale (Richard H. Thaler) converge sur un constat :
La rationalité « parfaite » n’existe pas dans les pratiques managériales réelles.
Pourtant, nous prenons tous des décisions, qu’il s’agisse du domaine personnel ou professionnel, nous avons tous été conduits à faire des choix, c’est-à-dire à prendre conscience de la nécessité de décider, à formuler des problèmes, à envisager plusieurs options, à renoncer à certaines, puis à faire face aux conséquences de nos choix. Mais que savions-nous du fonctionnement de l’humain face au processus de la décision, et quels sont les mécanismes qui entrent en action lorsque nous décidons ?
Pour analyser bien cette question, il faut ajouter une autre activité en liaison étroite avec la décision, c’est le jugement. Les activités de jugement et de décision sont des activités fortement liées l’une à l’autre et qui ont des domaines d’application variés comme la médecine, le recrutement, ou le domaine juridique. De ce fait l’étude de ces activités s’est étendue à de nombreuses disciplines scientifiques telles que la psychologie, mais également, les sciences économiques, politiques, légales, ou médicales.
L’activité de jugement renvoie aux évaluations, estimations ou prédictions que l’on peut faire à partir d’informations concernant une personne, un objet ou une situation. Ces informations peuvent être externes, c’est-à-dire disponibles dans notre environnement immédiat, ou bien internes, c’est-à-dire provenant de connaissances disponibles en mémoire. Le processus de jugement consiste alors à identifier, puis à intégrer ces diverses informations en tenant compte de leur importance et de leur valeur afin d’établir un jugement unique. Par exemple, un médecin pourra juger la probabilité qu’il prescrive un médicament pour contrôler les lipides chez un patient diabétique en intégrant des informations telles que le niveau de cholestérol, son poids, la présence d’antécédents familiaux. L’activité de décision renvoie au processus qui consiste à choisir une option parmi un ensemble d’alternatives possibles en réponse à des besoins perçus.
Les jugements forment souvent le point d’entrée (plus ou moins conscient) de nos décisions. Ainsi, l’activité de décision peut être décrite comme un processus impliquant l’intégration de deux types de jugement : un jugement de la probabilité que chacune des conséquences possibles d’une option donnée se réalise et un jugement du caractère plus ou moins désirable de chacune de ces conséquences. Etant donné leur implication dans de nombreuses activités substantielles, la question de la qualité de nos jugements et de nos décisions s’est très vite imposée. Les jugements s’évaluent le plus souvent en examinant leur exactitude. Les décisions, quant à elles, s’évaluent en termes d’optimalité, c’est-à-dire de leur capacité à répondre au mieux à nos besoins en maximisant nos aspirations.
La thématique qui nous intéresse trop est la décision qui ressort des différentes approches et qui s’inscrivent dans un processus complexe, mêlant à la fois des mécanismes rationnels et irrationnels, conscients et inconscients, en prise à la fois avec la réalité du contexte et avec celle du vécu de l’individu. Nous sommes en effet habitués, depuis Freud, à nuancer l’image d’un homme totalement rationnel pour lui substituer celle d’un individu en partie gouverné par des « forces » remontant des profondeurs de l’inconscient. Mais, plus spécifiquement, il ressort des études portant sur la décision que des « erreurs systématiques » caractérisent le raisonnement et le jugement humains. Des erreurs systématiques qui portent essentiellement sur l’évaluation, sur le traitement et sur l’interprétation de l’information. Plusieurs causes sont pointées du doigt. Tout d’abord, la manière dont nous nous laissons gouverner, et parfois même submerger, par nos premières impressions ou émotions, ensuite, l’écart qui existe entre le problème lui-même et les représentations mentales que nous en construisons, enfin, à développer une démarche analytique, à intégrer le contexte, à changer de point de vue, à prendre du recul pour apprécier les problèmes sous leurs différents angles.
Certains croient qu’il faut prendre des décisions le plus rapidement possible et avec fermeté, d’autres qu’il est préférable de faire preuve de plus de prudence et de réflexion. Peu importe, voici trois conseils qui pourront nous aider à ne pas tomber dans des pièges courants et à prendre des décisions plus avisées.
• Mettre les meilleures personnes à contribution. Prendre une décision, c’est en fait traiter de l’information pour obtenir un résultat. Autrement dit, plus l’information sera valable, meilleur sera le résultat. Assurez-vous donc d’avoir l’opinion de personnes fiables et qui connaissent parfaitement le sujet en question.
• Préciser comment la décision sera prise. Le processus de prise de décisions entraîne souvent des frictions s’il n’est pas bien balisé. Nommez dès le départ les étapes que vous suivrez et qui aura le dernier mot.
• Profiter de points de vue différents. Au début du processus, l’unanimité est dangereuse : il est important de recueillir des opinions divergentes. Si ce n’est pas possible, faites-vous l’avocat du diable ! Confronter différents points de vue permet d’obtenir un résultat plus solide et plus fiable.
Trois types de décisions sont généralement à la disposition du décideur ; il peut privilégier l’un ou l’autre selon le but qu’il poursuit, les circonstances rencontrées et les moyens dont il dispose :
- La sûreté, en adoptant la solution ayant la plus grande probabilité d’être menée à son terme ;
- L’efficacité, en retenant la solution, au résultat peut-être plus aléatoire, mais capable de procurer le meilleur bénéfice ;
- Le moindre coût, choix qui se justifie souvent lorsque la solution est imposée par les circonstances et que l’on cherche surtout à privilégier le statu quo ante. C’est en quelque sorte une non-décision qui, malheureusement, est souvent le refuge des indécis.
En fait, le plus souvent, la décision sera un compromis entre ces trois recherches de la sûreté, de l’efficacité maximale et du moindre coût. Le poids relatif accordé à l’une ou à l’autre sera le reflet de l’appréciation que le décideur porte lui-même sur l’intérêt de l’objectif visé, ainsi que sur les difficultés des actions à conduire pour l’atteindre, car le choix est par essence subjectif puisqu’il est un engagement personnel qui traduit la perception qu’a le décideur des avantages et inconvénients qu’il peut en attendre. Quoi qu’il en soit de cette subjectivité inévitable, il n’en demeure pas moins impératif que le processus de prise de décision se conforme à une norme établie qui lui assure les plus grandes rationalités et cohérence possibles.
En conclusion, la rationalité managériale ne doit pas être conçue comme une capacité exceptionnelle d’optimisation, mais une discipline de pensée, une culture de la révision, et un levier majeur pour la performance dans un monde incertain. La performance des organisations repose sur des décisions de qualité et cultiver le jugement reste bien plus qu’une compétence, c’est une stratégie.
LA MAITRISE DU JUGEMENT, MOTEUR DE DECISIONS GAGNANTES
