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MAROC – CANADA : UN PARTENARIAT STRATEGIQUE VERS UNE ALLIANCE TRANSCONTINENTALE

À l’heure où les relations internationales connaissent des recompositions profondes, où les alliances se diversifient et où les enjeux économiques se complexifient, le partenariat entre le Maroc et le Canada apparaît comme l’un des plus prometteurs, mais paradoxalement l’un des moins exploités. Pourtant, les deux pays disposent d’une histoire diplomatique vieille de plus de soixante ans, d’atouts complémentaires, de liens humains puissants et d’intérêts convergents.

Je propose dans cette publication une analyse stratégique du potentiel partenariat stratégique entre le Maroc et le Canada :

  • En revisitant l’histoire diplomatique et politique des relations bilatérales ;
  • En examinant les échanges commerciaux et économiques récents ;
  • En analysant la possibilité d’un Accord de Libre-Échange (ALE) ;
  • En mettant l’accent sur le rôle déterminant de la diaspora marocaine au Canada et les impacts sociaux migratoires de la suspension du PEQ.

L’objectif est de démontrer que le moment est venu de passer d’une coopération dite amicale à un partenariat stratégique structuré. En tant que marocco canadien, j’ai toujours considéré que le lien entre les deux pays dépasse largement les chiffres du commerce ou les déclarations diplomatiques. C’est un lien que j’ai vécu au sein des universités canadiennes, dans les entreprises où j’ai travaillé, dans les associations de la diaspora, dans les discussions passionnées autour d’un café à Montréal, Toronto et Casablanca. C’est un lien humain, profond, parfois discret, mais extraordinairement puissant lorsqu’on prend le temps de l’observer.

Et pourtant, malgré tout ce potentiel que je vois chaque jour, le partenariat entre le Maroc et le Canada reste encore en-deçà de ce qu’il pourrait être, dans un monde qui change à toute vitesse, où les alliances stratégiques deviennent essentielles, les deux pays tiennent une opportunité, celle de bâtir un modèle de collaboration transcontinentale.

Histoire des relations diplomatiques

L’année 2022 a connu la célébration du 60ème anniversaire des relations diplomatiques bilatérales entre les deux pays. Depuis plus de soixante ans, le Maroc et le Canada entretiennent une relation diplomatique marquée par la stabilité, le respect mutuel et une volonté constante de dialogue. Pourtant, malgré la profondeur historique de leurs liens, malgré la force extraordinaire de la diaspora marocaine établie au Canada et malgré les intérêts économiques croissants qui les rapprochent, ces relations bilatérales demeurent sous exploitées par rapport au potentiel réel.

À l’heure où l’économie mondiale se recompose, où les chaînes de valeur se restructurent et où les États cherchent à renforcer et renouveler leurs alliances stratégiques, le partenariat entre le Maroc et le Canada pourrait devenir un cas emblématique de coopération fondée sur l’innovation, la mobilité, l’intelligence géopolitique et le développement partagé.

C’est là qu’intervient une idée que je soutiens pleinement, celle de réfléchir sérieusement à un accord commercial structurant entre le Maroc et le Canada qui ne compte aucun accord de libre-échange avec un pays africain.

Le 27 janvier 2011, le roi Mohammed VI que Dieu l’assiste a reçu en audience au palais royal d’Agadir l’ancien Premier Ministre canadien Stephen Harper en visite officielle au Maroc. L’objectif principal de cette visite était le lancement officiel des négociations d’un potentiel Accord de Libre-Échange (ALE) entre le Canada et le Maroc qui reste, l’un des pays les mieux intégrés dans les réseaux commerciaux du continent et qui dispose d’accords majeurs avec l’Union européenne, les États-Unis et plus de 40 pays africains. La convergence est évidente, un tel accord pourrait devenir une porte d’entrée mutuellement bénéfique. Pour le Canada, un accès structuré au continent africain. Pour le Maroc, une plateforme de partenariat nord-américaine de haut niveau. Une synergie qui, vue depuis Rabat ou depuis Ottawa, fait beaucoup de sens.

Une dynamique commerciale à fort potentiel

En 2024, le Maroc était le troisième partenaire commercial bilatéral du Canada en Afrique pour les marchandises. Les activités commerciales du Canada au Maroc sont diversifiées, portant non seulement sur l’exportation de biens et d’actifs miniers, mais aussi sur la création de franchises, de nombreux partenariats avec des institutions éducatives, et d’autres activités dans les chaînes de valeur mondiales.

Le Maroc offre des opportunités commerciales intéressantes pour le Canada dans les domaines de l’éducation, de l’agroalimentaire, de l’exploitation minière, de l’aérospatiale, de l’automobile, de la défense, des technologies de l’information et des technologies vertes.

En 2024, le commerce bilatéral de marchandises entre le Canada et le Maroc a atteint plus de 1,82 milliard de dollars, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2023. Les exportations canadiennes vers le Maroc comprenaient principalement des céréales, des légumes, des engrais, des machines et équipements, du sel, des pièces d’aéronefs et de véhicules. Les principales importations du Maroc comprenaient des engrais, des fruits et noix comestibles, des produits chimiques inorganiques et des machines et équipements. (Source : Global Affairs Canada)

En 2023, la valeur des investissements directs canadiens au Maroc s’élevait à 283 millions de dollars, soit une augmentation de 270 % par rapport à 2022. La présence des entreprises canadiennes au Maroc est en croissance, notamment dans les secteurs prioritaires tels que l’exploitation minière, les technologies propres, l’aérospatiale, l’automobile, les technologies de l’information et des communications (TIC), l’éducation et l’agroalimentaire. (Source : Global Affairs Canada).

La diaspora marocaine au Canada : un levier stratégique

Cependant l’économie ne raconte pas toute l’histoire. Le véritable cœur de la relation entre le Maroc et le Canada, je l’ai vu et je le vis au quotidien, est la diaspora marocaine qui se situe davantage autour de 300.000 personnes selon les statistiques du Maroc. Massivement installée au Québec, plus particulièrement la région de Montréal en raison de la barrière linguistique, mais aussi, présente en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique. Cette diaspora que je connais et dont je fais partie est jeune, instruite, dynamique et créative. Elle occupe des positions de plus en plus influentes dans les universités, les entreprises technologiques, les hôpitaux, les services financiers et les start-ups innovantes. J’ai vu des étudiants travailler dans les bibliothèques du Québec, des entrepreneurs créer de la valeur, des ingénieurs et chercheurs contribuer à l’innovation canadienne. Cette diaspora joue un rôle stratégique dans cette relation bilatérale car elle produit trois formes de valeur essentielles.

La première est le capital humain. Les Marocains installés au Canada sont nombreux dans les secteurs de pointe tel que, l’intelligence artificielle, ingénierie, santé, aéronautique, technologies propres, recherche scientifique. Leur expertise constitue une ressource précieuse pour le Maroc et pour les entreprises canadiennes qui souhaitent s’internationaliser.

La deuxième est le capital économique. Les transferts financiers, la création de PME, les investissements directs et les partenariats d’affaires sont autant de leviers susceptibles de transformer les relations économiques entre les deux pays.

La troisième forme de valeur est le capital relationnel. Grâce à leur double appartenance, les membres de la diaspora comprennent les codes culturels, les écosystèmes institutionnels, les habitudes professionnelles et les priorités stratégiques des deux pays. Ils sont, de fait, l’infrastructure informelle mais indispensable d’un partenariat moderne.

Suspension du PEQ : un choc pour les trajectoires migratoires marocaines

Cependant, cette dynamique positive a été brusquement affectée par la suspension du Programme de l’Expérience Québécoise (PEQ), longtemps considéré comme la meilleure voie d’accès rapide à la résidence permanente pour les étudiants et travailleurs étrangers, dont une proportion importante était d’origine marocaine. La suspension du PEQ, justifiée par des réformes structurelles du modèle d’immigration québécois, a eu des effets immédiats sur les trajectoires socioprofessionnelles de milliers de jeunes Marocains.

Beaucoup avaient choisi le Québec précisément en raison de la combinaison entre une formation de qualité, des débouchés professionnels solides et la possibilité de s’établir durablement. L’impact sociomigratoire de cette suspension est profond, il a créé non seulement un climat d’incertitude, de doute et d’angoisse, mais aussi de réorientation soudaine et forcée. Certains ont reconsidéré leurs projets de vie en explorant des voies alternatives comme les programmes fédéraux vers les provinces anglophones, d’autres encore ont choisi un retour anticipé au Maroc avec un sentiment amer, non pas envers le Canada, mais envers un mécanisme administratif qui avait brutalement changé les règles du jeu.

Pour le Canada, cela représente un risque réel de perte de talents hautement qualifiés dans un contexte où des secteurs entiers connaissent une pénurie de main-d’œuvre. Pour le Maroc, cette situation crée un paradoxe, alors que le pays s’efforce de retenir ses compétences et de renforcer son attractivité, le Canada l’un de ses partenaires privilégiés réduit temporairement l’une des passerelles migratoires les plus structurantes. Mais cette transition peut aussi être vue comme une opportunité de repenser les mobilités entre les deux pays, en développant des partenariats universitaires renforcés, des programmes de mobilité professionnelle conjoints, des visas entrepreneur adaptés et des initiatives qui valorisent concrètement les compétences marocaines.

Pourquoi maintenant est le bon moment ?

D’un point de vue géopolitique, le moment est idéal pour redéfinir cette relation bilatérale. Le Maroc devenu en quelques années l’un des pôles les plus dynamiques d’Afrique, se positionne comme un acteur stratégique de la transition énergétique, de l’industrialisation continentale, des infrastructures logistiques et des partenariats Sud-Sud. Le Canada, puissance économique stable et respectée, cherche à diversifier ses alliances, à accroître sa présence dans l’espace francophone africain et à renforcer son rôle dans la coopération climatique et technologique. Les deux pays partagent une vision modérée du multilatéralisme, une complémentarité économique remarquable, un intérêt croissant pour l’innovation et, surtout, une communauté humaine qui peut servir d’amplificateur stratégique.

Dès lors, le véritable enjeu consiste à transformer ce partenariat amical en un partenariat structuré. Cela suppose une volonté politique affirmée, une mobilisation intégrée des acteurs publics et privés et une valorisation systémique de la diaspora. Les entreprises des deux pays, quant à elles, gagneraient à s’engager davantage dans des missions commerciales croisées, dans la création des coentreprises industrielles, dans l’échange d’expertise en transformation numérique et dans les chaînes de valeur circulaires et durables. Les universités et centres de recherche peuvent jouer un rôle clé en développant des formations binationales, des programmes de recherche conjoints et des pôles d’innovation. Enfin, la diaspora elle-même doit être considérée comme un acteur stratégique, non pas comme un simple vecteur culturel, mais comme une véritable infrastructure de puissance douce. Sa mobilisation pourrait prendre la forme de réseaux d’affaires structurés, de clubs d’investissements, de programmes de mentorat pour les jeunes Marocains et de plateformes technologiques reliant les deux écosystèmes d’innovation.

Dans ce sens, il serait opportun de créer un Conseil économique marocco canadien destiné à réunir les entreprises, les institutions financières, les universités, les Think-Tanks et les représentants de la diaspora afin de co-construire des projets concrets dans les secteurs clés. Les gouvernements pourraient également envisager des programmes bilatéraux de mobilité des talents, des visas dédiés aux entrepreneurs marocco-canadiens, des partenariats universitaires structurants dans l’intelligence artificielle ou la transition énergétique, ainsi que des projets conjoints d’investissement visant à faire du Maroc une plateforme d’accès aux marchés africains pour les entreprises canadiennes.

En conclusion, je suis convaincu que nous avons atteint un moment charnière et un point tournant dans l’histoire des relations bilatérales marocco canadiennes. Nous avons, d’un côté, le Maroc qui s’affirme comme un Hub continental innovant, ambitieux, stratégique comme je l’ai décrit dans mon précédent article. De l’autre, le Canada qui cherche à diversifier ses alliances, à renforcer son rôle international, à attirer des talents, à développer son économie verte. Et au milieu une diaspora incroyablement précieuse.

Si nous ne faisons rien, les relations entre le Maroc et le Canada resteront une belle promesse inachevée. Mais si nous choisissons d’agir, de structurer, de partager et d’investir, nous pouvons créer un partenariat exemplaire. Il ne s’agit plus d’attendre les conditions idéales, elles sont déjà là. Il s’agit désormais d’avoir le courage politique, économique et humain d’en faire une réalité.

Aux décideurs, aux entrepreneurs, aux universitaires, à la diaspora qui en est la force vive, à celles et ceux qui, comme moi, portent les deux pays dans leur identité et croient en ce partenariat, MOBILISONS-NOUS.

Nous avons la chance de construire une alliance qui pourra devenir un modèle de coopération transcontinentale moderne, mais qui dépend de ce que nous ferons aujourd’hui et demain. Il suffit d’oser franchir une étape de plus pour transformer ce potentiel en une réelle œuvre.

C’EST LE MOMENT D’AGIR, L’AVENIR SE JOUE MAINTENAN

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